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LA POLYSÉMIE.

de surprenant, et que parfois même elles ne soient pas sans quelque avantage[1]. Il est difficile d’établir à ce sujet une règle. Cependant je proposerais celle-ci : Respecter les distinctions anciennes et faites de bonne foi ; s’abstenir d’en créer de propos délibéré.

Il est si vrai que la bifurcation des sens peut d’un mot en faire deux ou plusieurs, que les changements grammaticaux qui modifient l’un épargnent l’autre. Le verbe latin legere change son e en i dans les composés : eligere, colligere. Mais quand il signifie « lire », il garde son e : perlegere, relegere. Un auteur du xviie siècle[2] fait remarquer que bon a pour comparatif meilleur, excepté quand il est pris en mauvaise part, et qu’il signifie « niais, simple », comme dans cet exemple : « Vous vous étonnez, dites-vous, qu’il ait été assez bon pour croire toutes ces choses ; et moi, je vous trouve encore bien plus bon de vous imaginer qu’il les ait crues ». Les distinctions de ce genre existent partout. Un auteur allemand observe que roth fait au comparatif röther, excepté quand il s’agit de la couleur politique, auquel cas il faut rother. Plutôt que de tourner en dérision des observations de ce genre, il vaut mieux en chercher la raison : c’est que les règles grammaticales s’entretiennent par l’usage, et que le mot, en son

  1. Il en est un peu de ces mots comme des noms propres tels que Regnault, Renault, Renaud, etc., qui, partis d’un même type, reviennent à l’Almanach Bottin avec leur orthographe spéciale.
  2. Nicolas Andry.