Page:Bréal - Essai de Sémantique.djvu/193

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La question a été agitée pourquoi le latin forme moins de composés que le grec, et l’on a donné pour raison un défaut de « force plastique », ce qui est à la fois une pétition de principe et une métaphore vide de sens. Il est certain que l’envie n’a pas manqué aux poètes d’imiter les composés de la langue grecque. Les essais en ce genre ne manquent pas. Pourquoi ces composés ont-ils un air emprunté ? Pourquoi les Latins ont-ils été les premiers à en sourire ? C’est sans doute parce qu’aux créations des poètes l’intelligence de la masse a besoin d’être préparée par la langue de chaque jour. Or, les anciens composés comme princeps, pauper, simplex étaient déjà trop resserrés et contractés par la prononciation, avaient déjà trop perdu de leur transparence, pour servir d’initiation et de guide[1].

C’est à l’occasion des noms composés, ayant à trouver l’équivalent du grec ὀμοιομέρια, que Lucrèce élève sa plainte au sujet de la pauvreté de la langue latine, patrii sermonis egestas. Quintilien fait une remarque analogue : Res tota magis Græcos decet, nobis minus succedit. Il ne faut pas croire toutefois que le latin manque de composés : si on voulait les assembler tous, la liste en serait longue. Rien que la langue du calendrier en offre un certain choix,

  1. Si l’anglais n’avait que des composés comme world (pour wer-old, « âge d’homme »), ou lord (pour hlāf-ward, « qui dispense le pain »), la langue anglaise n’aurait pas plus que la nôtre gardé l’usage des composés.