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L’ORDRE DES MOTS.

épreuve toujours un peu délicate et pierre de touche où se reconnaît l’étranger imparfaitement instruit.

On a prononcé, à l’occasion de la phrase française, le mot d’ « ordre logique ». Il y a là quelque exagération. C’est le cas de rappeler la remarque d’un écrivain anglais qu’il en est de ceci comme des antipodes : chaque peuple est tenté de trouver qu’il met les mots à la vraie place. On peut fort bien, sans manquer à la logique, concevoir un autre ordre. Dans le plan primitif de nos langues, le verbe se faisait suivre de son sujet (δίδωμι, δίδωσι). Sans sortir du français, nous avons des propositions qui mettent le sujet à la fin[1].

C’est surtout Rivarol, dans son Discours sur l’universalité de la langue française, qui s’est laissé emporter à des éloges dont le tort est d’être à la fois excessifs et vagues : « Le français, par un privilège unique, est resté seul fidèle à l’ordre direct, comme s’il était tout raison… C’est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l’ordre des sensations ; la syntaxe française est incorruptible. C’est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Quand notre langue traduit, elle explique véritablement un auteur… »

Ce qu’il aurait fallu louer, ce n’est pas la langue française in abstracto, mais l’effort persévérant de

  1. « Les arbres qu’avait abattus le vent ». — « L’homme de qui dépendait notre sort », etc.