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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

nos écrivains depuis trois siècles, pour proportionner les libertés de notre syntaxe aux ressources d’expression dont la langue dispose. En ceci ils ont été d’une honnêteté singulière. Ils ont compris que la clarté était, en écrivant, une des formes de la probité. Ceux qui, sous prétexte de progrès, ou par imitation des littératures étrangères, veulent aujourd’hui s’affranchir de ces anciennes règles, devraient d’abord donner à notre langue les moyens de s’en passer.


C’est le lieu de rappeler l’hypothèse qui a été proposée au sujet des langues monosyllabiques comme le chinois, où les règles de construction sont à elles seules à peu près toute la grammaire. On a conjecturé que ce monosyllabisme ne représentait pas un état primitif, mais que c’était, au contraire, la vieillesse d’un langage où tout s’est, usé et dénudé. Il se pourrait, en effet, qu’il fallût retourner de cette façon la série des périodes linguistiques. On devrait supposer alors que nos langues, en se dépouillant de plus en plus de leur appareil grammatical, seraient un jour destinées à un état plus ou moins semblable. Il est vrai que la tradition littéraire serait au besoin pour elles une sauvegarde, sauvegarde qui a manqué à l’Empire du Milieu, puisque l’écriture chinoise fait durer la pensée sans pour cela transmettre la langue.