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LE LANGAGE ÉDUCATEUR DU GENRE HUMAIN

pas dire toutefois que le cours du temps ne puisse amener de telles difficultés que les générations nouvelles n’en soient déconcertées. Mais alors, comme on l’a vu[1], l’intelligence populaire s’en tire de la façon la plus simple : elle fait disparaître la difficulté par voie d’analogie, d’unification, de suppression. Comme le peuple, en cette matière, est à la fois l’élève et le maître, ce qu’il change, ce qu’il unifie, ce qu’il abroge, devient la règle de l’avenir.

Nos langues modernes, moins encombrées d’appareil formel, n’en sont cependant pas affranchies. La complication s’est, en outre, portée sur un autre point. Il s’agit d’apprendre à employer des mots presque vides de sens, mots tellement abstraits et « serviles », qu’on peut toute sa vie en ignorer l’existence, tout en les mettant à la place convenable. C’est là qu’on observe une intelligence passée à l’état d’instinct, pareille à celle qui guide les doigts de l’ouvrière en dentelles, remuant, sans les regarder, ses fuseaux.

S’il fallait énumérer et expliquer tous les emplois de nos prépositions, on ferait un volume. Le dictionnaire de Littré, pour le seul mot à, n’a pas moins de douze colonnes[2]. Cependant le peuple se retrouve

  1. Voir ci-dessus les chapitres I, VI et VIII.
  2. « La malechance de l’ordre alphabétique voulut que, pour mon début, j’eusse à traiter la préposition à, mot laborieux entre tous et