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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

Nous travaillons tous, plus ou moins, au vocabulaire de l’avenir, ignorants ou savants, écrivains ou artistes, gens du monde ou hommes du peuple. Les enfants y ont une part qui n’est pas la moindre : comme ils prennent la langue au point où les générations précédentes l’ont conduite, ils sont ordinairement en avance d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années sur leurs parents.

La limite à laquelle doit s’arrêter le droit d’innover n’est pas seulement donnée par une idée de « pureté » qui peut toujours être contestée : elle est imposée par le besoin où nous sommes de rester en contact avec la pensée de ceux qui nous ont précédés. Plus le passé littéraire d’une nation est considérable, plus ce besoin se fait sentir comme un devoir, comme une condition de dignité et de force. De là l’idée d’une époque classique, offerte à l’imitation des âges suivants, idée qui n’a rien d’artificiel ni de chimérique, si l’on ne reporte pas l’époque classique à des siècles trop éloignés. En pareil cas, ce n’est pas les linguistes seuls qu’il faut consulter, car ils pourraient être tentés de se diriger par des motifs en quelque sorte professionnels. Le philologue suédois Erik Rydquist[1] plaçait l’âge classique de la langue suédoise aux environs de l’an 1300. Une manière de voir analogue, sans être toujours exprimée ouverte-

  1. Mort à Stockholm en 1877.