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L’HISTOIRE DES MOTS.

à cet égard, dans les mêmes conditions que les modernes, n’étant anciennes que par rapport à nous, et ayant déjà elles-mêmes reçu l’héritage des siècles. Quand Salluste fait dire à Catilina : Cum vos considero, milites, et cum facta vostra æstumo,… il ne songe pas plus que nous à l’origine d’expressions qui lui paraissaient toutes simples. Cependant considero est une métaphore empruntée à l’astrologie et æstumo à la banque. Si nous en croyions les listes de racines qu’ont dressées à l’envi grammairiens indous et arabes, nous pourrions être pris de l’illusion que les langues ont débuté par les idées les plus générales. On trouve à tout instant chez eux des racines dont le sens est « aller, résonner, briller, parler, penser, sentir ». Mais c’est notre ignorance d’un âge antérieur qui est seule cause de cette illusion.

Les recueils de rhétorique ne contiennent catachrèse, litote ou hyperbole dont le peuple ne fournisse tous les jours des spécimens à foison. Un grammairien du xviiie siècle, Dumarsais, a écrit un Traité des tropes dont une édition a eu l’honneur inattendu d’être dédiée à Mme de Pompadour. Mais que sont ces exemples recueillis à fleur de sol auprès de ceux que des fouilles un peu approfondies mettent à découvert ? Si l’on disait qu’il existe un idiome où le même mot qui désigne le lézard signifie aussi un bras musculeux, parce que le tressaillement des muscles sous la peau a été comparé à un lézard qui passe,