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L’HISTOIRE DES MOTS.

et connu de tous ! La langue peut ensuite subir toute sorte d’atteintes : il existera pour elle une source de purification. C’est le service que the holy Bible de 1611 a rendu à l’anglais, la traduction de Luther à l’allemand. Nos grands prédicateurs du xviie siècle ont rendu à la langue française un service analogue. Il y a, au contraire, des coins de la littérature qui flétrissent tout ce qu’ils touchent, et qui, s’ils s’emparent d’une expression, la restituent ternie et déshonorée.

Comme ces coquilles qui jonchent le bord de la mer, débris d’animaux qui ont vécu, les uns hier, les autres il y a des siècles, les langues sont remplies de la dépouille d’idées modernes ou anciennes, les unes encore vivantes, les autres depuis longtemps oubliées. Toutes les civilisations, toutes les coutumes, toutes les conquêtes et tous les rêves de l’humanité ont laissé leur trace, qu’avec un peu d’attention l’on voit reparaître.

Cette conséquence dans le style, cette suite dans la métaphore, qu’on recommande avec raison, fait absolument défaut au langage ; ou plutôt, c’est seulement pour la dernière couche qu’elle est possible et nécessaire : autrement, nous nous interdirions les locutions les plus simples, et la parole deviendrait aussi difficile que l’est le commerce journalier de la vie dans ces religions asiatiques où tout ce qui a eu vie passe pour impureté. Les langues anciennes sont,