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L’HISTOIRE DES MOTS.

détail. Les missionnaires qui fixent les premiers par l’écriture la langue des peuples sauvages savent combien il est difficile de reconnaître où commencent et finissent les mots. Si l’étrusque a résisté jusqu’à présent aux tentatives de déchiffrement, cela tient en partie à la défectuosité des séparations.

Habitués au service que nous rend l’écriture, nous sommes exposés à nous montrer ingrats envers elle. La nouvelle école des fonétistes n’y pense peut-être pas assez, au moins le parti avancé, — car je ne veux pas tout désapprouver en leur entreprise. Dans nos langues modernes, où tant de vocables différents d’origine et de signification sont devenus semblables entre eux pour l’oreille, le mot ne se grave pas seulement dans l’esprit par le son, mais encore par l’aspect. À défaut d’orthographe, il faudrait recourir à un commentaire explicatif, comme font les Chinois, et comme nous faisons nous-mêmes quand nous disons : le nom de nombre cent, le sang qui coule dans nos veines.

Une fois encadré dans une locution, le mot perd son individualité et se désintéresse de ce qui arrive au dehors. Il n’est donc pas exact de parler, même à titre d’image, de la vie et de la mort des mots. Tel ne dit plus rien à l’intelligence, qui continue de figurer dans un contexte, où il est perçu non en tant que mot, mais en tant que partie intégrante d’un ensemble. Dans ce réduit où il est confiné, on le voit