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L’HISTOIRE DES MOTS.

qui échappe aux changements de la langue, aux révolutions de l’usage et des idées. Nous disons rez-de-chaussée, quoique (rez, rasus) soit sorti du parler habituel. Faire un pied de nez se maintient en dépit du système métrique. Nous avons toujours des rhumes de cerveau, quoique aux yeux de la médecine moderne le cerveau soit bien étranger à l’affaire.

Aussitôt qu’un mot est entré dans une locution, son sens propre et individuel est oblitéré pour nous. Ces sortes d’incohérences frappent habituellement les étrangers plus que nous, surtout s’ils ont appris la langue non par l’usage, mais par des méthodes scientifiques. De là le purisme qu’affectent volontiers les étrangers qui parlent ou écrivent le français pour l’avoir appris à l’université.


On peut tirer de cet ordre de faits quelques réflexions sur la manière dont se modifient et se décomposent les langues. Si l’on s’en rapportait aux enseignements de la seule phonétique, les mots se transformeraient un à un, chacun pour soi, selon le nombre de syllabes, selon la place de l’accent, conformément à des règles invariables. En outre, les désinences destinées à périr s’éteindraient simultanément dans tous les mots de même espèce. La construction se modifierait d’une manière uniforme