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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

contraire, qu’il y a eu comparaison, et que le terme populaire doit à cette comparaison une déchéance qui autrement ne se comprendrait pas. En matière de langage, la signification est le grand régulateur de la mémoire ; pour prendre place dans notre esprit, les mots nouveaux ont besoin d’être associés à quelque mot de sens approchant. Le peuple a donc ses synonymes, qu’il dispose et subordonne selon ses idées. À mesure qu’il apprend des mots nouveaux, il les insère parmi les mots qu’il connaît déjà. Rien d’étonnant à ce que ceux-ci subissent un déplacement, un recul. Aussi longtemps qu’il y aura des populations qui se mêleront, on aura à constater de nouveaux exemples de la répartition. Pour en arrêter les effets, il faudrait mettre des douanes, des clôtures au langage.

Ce que le peuple fait d’instinct, toute science qui se forme, toute analyse qui s’approfondit, toute discussion qui veut aboutir, toute opinion qui veut se reconnaître et se définir, le fait avec la même spontanéité. Platon, voulant combattre les idées de l’école ionienne, reproche à Thalès d’avoir confondu les principes ou ἀρχαί avec les éléments ou στοιχεῖα, les éléments étant l’eau, le feu, la terre, l’air, les principes étant quelque chose de plus général et d’impérissable, comme les nombres. La distinction faite ici par le penseur grec, pour être philosophique et profonde, n’en est pas moins, au