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LOI DE RÉPARTITION.

point de vue de la linguistique, du même ordre que les distinctions citées plus haut. Par une aperception immédiate, les deux mots, jusque-là synonymes, ont été différenciés. Mettrons-nous les faits de ce genre en dehors de l’histoire du langage ? Nous risquerions d’en retrancher le côté le plus important. L’histoire du langage est une série de répartitions. Il ne s’est point passé autre chose à l’origine des langues. Il ne se passe point autre chose aux premiers bégaiements de l’enfant, car c’est par répartition qu’il applique peu à peu à des objets distincts les syllabes qu’il promène d’abord indifféremment sur tous les êtres qu’il rencontre.

Voyons maintenant quelques effets de la répartition dans une période ancienne de nos langues.

La racine man semble avoir servi, dans le principe, à nommer confusément toutes les opérations de l’âme, car nous la trouvons exprimant la pensée (mens), la mémoire (memini, μέμνηναι, μιμνήσκω), la passion (μένος), et même peut-être la folie (μανία)[1]. Mais une psychologie moins rudimentaire a introduit de l’ordre dans ce mélange, gardant quelques mots, en élaguant d’autres pour les remplacer par des synonymes, donnant enfin à chacun son domaine spécial. Un tel triage ne s’est point fait au hasard : ce serait le lieu de reprendre, avec une force par-

  1. A. Meillet, De Indo-Europæa radice men, Paris, Bouillon, 1897.