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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

Puis on a pu sur ce modèle broder des variations :

φυλλιάω (en parlant d’un arbre), « ne produire que des feuilles » ;

ἐλλεβοριάω, « avoir besoin d’ellébore » ;

στρατηγιάω, « avoir la maladie de vouloir être stratège ».

L’idée de maladie est entrée dans cette désinence, mais elle ne s’y trouvait nullement à l’origine. Le point de départ doit être cherché dans quelques substantifs en ια, comme ὀφθαλμία, « ophtalmie » ; μελαγχολία, « humeur noire[1] ». De là est parti le mouvement : mouvement qui a produit un groupe qu’on pourrait appeler le groupe nosologique.


Citons maintenant un exemple tiré du français. Nous avons un suffixe péjoratif âtre, qui forme les mots comme marâtre, bellâtre, douceâtre. L’histoire en est instructive ; mais il faut la reprendre d’un peu haut.

Le lieu d’origine se trouve en grec, où il y avait des verbes en αζω, sans aucune signification fâcheuse : θαυμάζω, « j’admire » ; σπουδάζω, « je m’applique » ; σχολάζω, « je prends du loisir ». De là des substantifs en αστηρ, comme δικαστήρ, « juge » ; ἐργαστήρ, « ouvrier ».

Dans le nombre, nous voyons déjà se glisser quelques mots d’apparence suspecte : πατραστήρ, « celui

  1. Du reste, par elle-même, cette formation en ια n’implique rien de ce genre : ἁρμονία, « union » ; διδασκαλία, « enseignement » ; μεσημβρία, « midi », etc.