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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

gieux », on forme frömmeln, « faire le cagot ». Quelquefois le verbe en eln est tiré directement d’un autre verbe : deuten, « interpréter » ; deuteln, « subtiliser sur un texte ». L’idée dépréciative est entrée après coup dans cette désinence, qui n’avait à l’origine aucune signification fâcheuse. La formation en eln vient d’anciens substantifs en el, comme on le voit par Zweifel et zweifeln, Sattel et satteln, Wechsel et wechseln, Handel et handeln. Mais comme parmi ces substantifs il y en avait quelques-uns à sens diminutif, tels que Würfel, « dé » ; Schnitzel, « copeau, rognure » ; Äugel, « ocellus », cette circonstance a suffi pour imprégner la désinence verbale d’une saveur particulière. Dire que ce sont des produits de l’analogie est une explication insuffisante : l’esprit populaire a multiplié ces verbes parce que l’irradiation y avait fait entrer une signification spéciale[1].

L’idée diminutive elle-même est une idée, si je puis parler ainsi, de second mouvement. Les suffixes qui, en grec et en latin, ont servi à former des diminutifs, n’avaient pas ce sens à l’origine. Mais une fois que ce sens y est entré, ils se propagent indéfiniment. On sait la fécondité que le latin a déployée sur ce point. Comme un jardinier qui s’applique à diversifier une fleur adoptée par la mode, l’esprit populaire, une fois mis en goût, produit des diminu-

  1. On pourrait faire des observations toutes semblables sur nos mots français en iller, comme sautiller, en eté, comme tacheté, etc.