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LA SURVIVANCE DES FLEXIONS

combien il est difficile de séparer une langue de ses origines, et de quelle obscurité serait menacé le français s’il cessait de s’éclairer à la lumière du latin.

Un autre exemple est le génitif, qui, comme on sait, a longtemps persisté dans certaines locutions : l’Hôtel-Dieu, le parvis Notre-Dame, les quatre fils Aymon. Mais cette construction étant devenue obscure, l’intelligence populaire l’a transformée, comme on va le voir dans un instant.

Ces survivances sont instructives, parce qu’elles nous induisent à penser qu’il n’en a pas été autrement pour les langues anciennes, et que là où il y a quelque interdiction ou quelque tolérance inexpliquée, nous avons peut-être l’action prolongée d’un état de choses antérieur. C’est ainsi sans doute que doit s’interpréter la règle connue sous la formule τὰ ζῶα τρέχει.


La loi de survivance, comme la loi de répartition[1], a ses limites. Quand une flexion n’est plus représentée qu’à un petit nombre d’exemplaires, quand ces exemplaires sont eux-mêmes devenus méconnaissables, l’intelligence, dépourvue de direction, ne sait plus à quoi se prendre. Une prudence instinctive, qui est le produit de beaucoup d’essais

  1. Voir ci-dessus, p. 40.