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DE L’ANALOGIE.

personnes du pluriel ressemblaient trop aux premières du singulier. Le moyen employé a été fort simple : grâce à une rallonge empruntée à l’aoriste premier, on a eu ἔβησαν, ἵστασαν, ἔφασαν, ἔφυσαν, ἀνέθεσαν[1].

Un fait, à première vue surprenant, mais attesté par des preuves nombreuses, c’est que les suffixes les plus usités dans nos langues modernes sont des suffixes empruntés. Ainsi le grec nous a permis de former nos mots en isme, comme optimisme, socialisme ; en iste, comme artiste, fleuriste ; en iser, comme autoriser, fertiliser. L’allemand nous a fourni le suffixe ard, comme dans vantard, bavard. L’italien, le suffixe esque, comme dans gigantesque, romanesque. À prendre les choses à la rigueur, les mots en al comme national, provincial, en ateur, comme ordonnateur, provocateur, sont formés à l’aide de suffixes latins, puisque ces mêmes suffixes, quand ils sont entrés en français par voie populaire, ont pris un autre aspect. C’est le besoin d’avoir des formes explicites, se détachant nettement aux yeux, qui a procuré ce tour de faveur aux désinences étrangères : les nôtres ayant subi l’usure du temps, s’étant mêlées à la partie antérieure du mot, ne s’étalent pas avec la même évidence.

Le même fait s’observe chez nos voisins. On sait le succès qu’a obtenu en allemand notre désinence

  1. Curtius, Das Verbum, I, 74.