Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
AURORA FLOYD

vais-je jamais vous entendre parler ainsi ! Croyez-vous qu’il y ait des degrés dans ces choses-là ! Il ne doit pas y avoir de secret entre ma femme et moi ; et du jour qu’il existe un secret ou l’ombre d’un secret entre nous, nous devons nous séparer pour toujours. Relevez-vous, Aurora, vous me tuez avec cette honte et cette humiliation. Relevez-vous ; et, si nous devons nous quitter en ce moment, dites-moi, oui, dites-moi, par pitié, que je n’ai pas besoin de me mépriser pour vous avoir aimée avec une ardeur dont un homme est à peine capable.

Elle ne lui obéit pas ; mais elle se baissa encore davantage dans son attitude à demi agenouillée et à demi rampante, cachant son visage dans ses mains, et ne laissant voir à Bulstrode que les tresses de ses cheveux noirs.

— J’ai été privée de ma mère dès le berceau, Talbot, — dit-elle d’une voix à moitié étouffée. — Ayez pitié de moi !

— Pitié !… — répondit le Capitaine, — pitié !… Pourquoi ne demandez-vous pas justice ? Une question, Aurora ; une question encore, la dernière peut-être que je puisse jamais vous adresser. Votre père sait-il pourquoi vous avez quitté la pension, et où vous avez été pendant ces douze mois ?

— Oui, il le sait.

— Je remercie au moins Dieu de cela. Alors dites-le-moi, Aurora, dites-le-moi seulement, et je croirai votre simple parole, comme je croirais le serment d’une autre femme. Dites-moi s’il a approuvé le motif pour lequel vous avez quitté cette pension, et la manière dont vous avez passé cette année-là. Si vous pouvez me dire oui, Aurora, il n’y aura plus de discussion entre nous, et je pourrai sans crainte faire de vous mon épouse bien-aimée et honorée.

— Je ne le puis, — répondit-elle. — Je n’ai que dix-neuf ans ; mais dans les deux dernières années de ma vie, j’en ai fait assez pour briser le cœur de mon père ; pour déchirer le cœur du père le plus tendre qui ait jamais respiré sur la terre.

— Alors tout est fini entre nous. Dieu vous pardonne, Aurora ; mais d’après votre propre aveu, vous n’êtes pas