Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
AURORA FLOYD

dans la main, les yeux fixés sur ces deux mots. Fallait-il prendre l’expression dans son acception la plus forte ou la plus faible ? Un instant, se souvenant de l’amour d’Archibald pour sa fille, il pensa que cette grave maladie était sans doute une très-légère indisposition, quelque attaque de nerfs comme en ont les femmes, et commune à toutes les jeunes filles à la moindre anicroche dans leurs amourettes ; mais cinq minutes après il se figurait que ces mots avaient une terrible signification, qu’Aurora se mourait, se mourait de la honte et du supplice que lui avait amenés l’entrevue dans la petite chambre à Felden.

Dieu du ciel ! qu’avait-il fait ? Avait-il assassiné cette belle créature, qu’il aimait un million de fois plus que lui-même ? L’avait-il tuée avec ces armes impalpables, ces mots tranchants et cruels qu’il avait prononcés le 25 décembre ? Il se représenta mainte et mainte fois la scène qui avait eu lieu ; et le sentiment de l’honneur outragé, qui avait tant d’empire sur lui, semblait devenir vague et confus ; il commençait presque à se demander pourquoi il s’était querellé avec Aurora. Peut-être, après tout, ce secret ne concernait-il que quelque folie d’écolière ? Non, son attitude et son visage pâle donnaient un démenti à cette espérance. Ce secret, quel qu’il fût, était une question de vie ou de mort pour Aurora. Il n’osait pas essayer de le deviner, il tâchait de tenir son esprit en garde contre les soupçons qui l’assaillaient. Dans les premiers jours qui suivirent ce terrible jour de Noël, il avait résolu de quitter l’Angleterre. Il devait chercher à obtenir du gouvernement une place qui le ferait aller à l’autre bout du monde, où il n’entendrait jamais prononcer le nom d’Aurora, où jamais ne lui serait dévoilé le mystère qui était cause de leur séparation. Mais maintenant, maintenant qu’elle était malade, en danger peut-être, comment pouvait-il quitter le pays ? Comment lui était-il possible de partir pour un endroit où il pourrait un jour ouvrir les journaux anglais et voir le nom de la jeune fille dans la liste des décès ?

Talbot était un triste hôte au château de Bulstrode. Sa mère et sa cousine Constance respectaient la pâleur de son