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AURORA FLOYD

visage, et s’éloignaient de lui, craintives et tremblantes ; mais son père lui demanda ce que, diable ! il avait pour avoir l’oreille si basse, et pourquoi il ne prenait pas son fusil pour aller courir par les landes et gagner de l’appétit pour dîner, comme devait faire un chrétien, au lieu de bouder dans sa chambre toute la journée, à se mordre le bout des doigts.

Une fois, une seule fois, lady Bulstrode fit allusion à Aurora,

— Vous avez, je suppose, demandé une explication à Mlle Floyd, Talbot ? — dit-elle.

— Oui, ma mère.

— Et le résultat ?

— A été la rupture de nos engagements. Je préfèrerais que vous ne me parlassiez plus de ce sujet, ma mère, s’il vous plaît.

Talbot prit son fusil, et alla courir par les landes, comme le lui avait conseillé son père ; mais ce ne fut pas pour massacrer les derniers faisans, mais pour penser en paix à Aurora, que ce jeune homme sortit. Les nuages bas qui planaient au-dessus des landes semblaient le tenir enfermé comme les murs d’une prison. La distance qui le séparait de Felden était telle que les gémissements de voix en deuil pouvaient retentir dans le Kent, sans qu’un murmure funèbre parvînt aux oreilles les plus attentives dans le pays de Cornouailles. Comme il portait envie au plus humble domestique de Felden, qui savait jour par jour, heure par heure, les progrès de la lutte engagée entre la mort et Aurora ! Et cependant, après tout, qu’était-elle pour lui ? Que lui importait qu’elle allât bien ou mal ? La tombe ne pourrait jamais les séparer plus complétement qu’ils étaient séparés, du moment qu’il avait découvert qu’elle n’était pas digne d’être sa femme. Il ne l’avait point accusée, il lui avait amplement et loyalement fourni l’occasion de se laver du soupçon qui planait sur son nom ; et elle avait été incapable de le faire. Bien plus, par ses manières, elle lui avait donné tout lieu de supposer que ce soupçon était plus grave qu’il ne l’avait craint. Était-il donc blâmable ? Était-ce sa