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AURORA FLOYD

Les premières feuilles nuançaient d’un vert tendre les haies qui entouraient Felden ; on venait de sortir du mois de mars ; et les bourgeons des frênes perçaient leurs noires enveloppes, les pâles violettes et les primevères formaient d’odorants réseaux dans les petits recoins à l’ombre des chênes et des hêtres. Toute la nature se réjouissait de la douce température d’avril, lorsqu’Aurora leva sur le visage de son père ses yeux noirs qui semblaient avoir repris leur ancien éclat et leur charme ordinaire. La lutte avait été longue et rude ; mais elle était bien près de se terminer, selon le dire des médecins ; la mort vaincue battait en retraite pour quelque temps, en attendant une meilleure occasion pour prendre sa fatale revanche ; et celle qui en avait triomphé, encore faible, devait être portée au-rez-de-chaussée pour s’asseoir dans le salon pour la première fois depuis la soirée du 25 décembre.

On accorda à Mellish, qui se trouvait à Felden ce jour-là, le suprême privilège de porter ce frêle fardeau dans ses bras robustes depuis la porte de la chambre à coucher jusqu’au grand sofa, près de la cheminée, dans le salon, escorté d’une procession de gens, heureux de cette besogne, chargés de châles, d’oreillers, de sels, de flacons d’odeur et autres attirails de malades. Tout être vivant à Felden était dévoué à cette convalescente adorée. Floyd ne respirait que pour la soigner. La tendre Lucy la veillait nuit et jour, craignant de la confier à des mains mercenaires. Mme Powell, comme une ombre pâle et muette, se cachait, au milieu des rideaux de son lit, marchant sur la pointe du pied, l’œil sans cesse au guet, jouant le rôle d’une garde inappréciable dans la chambre d’une malade, au dire des médecins. Pendant toute la durée de sa maladie, Aurora n’avait jamais prononcé le nom de Bulstrode. Pas même lorsque la fièvre était à son paroxysme et que son cerveau était le plus dérangé, ce nom, si bien connu de tous, ne s’était échappé de ses lèvres. Elle avait mainte et mainte fois répété d’autres noms étrangers à Lucy ; les divagations de la pauvre jeune fille avaient été entremêlées de noms de lieux et de chevaux, de termes techniques