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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/19

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AURORA FLOYD

la maison même où les événements que je vais rapporter ont eu lieu, je suis obligé de dire aussi la vérité à cet égard, et de donner comme un fait positif que l’amour qu’Éliza avait pour son mari était une affection aussi pure et aussi sincère que jamais homme doit espérer en obtenir du cœur généreux d’une excellente femme. Je ne saurais dire quelle part la reconnaissance pouvait avoir dans cet amour. Si elle habitait une belle maison et était servie par des domestiques pleins d’attention et de déférence ; si elle mangeait des mets délicats et buvait des vins recherchés ; si elle portait de riches toilettes et des bijoux magnifiques ; si elle se prélassait sur les coussins moelleux d’une voiture, traînée par des chevaux vifs et fringants, conduite par un cocher à tête poudrée ; si, partout où elle allait, on lui rendait toutes sortes d’hommages extérieurs ; si elle n’avait qu’à formuler un désir pour qu’il fût satisfait comme par enchantement ; elle savait qu’elle devait tout cela à son mari, à Archibald Floyd ; et il peut se faire que tout naturellement elle finit par l’identifier avec tous les avantages dont elle jouissait et par l’aimer pour toutes ces choses-là. Un amour de ce genre peut paraître une affection basse et méprisable ; et sans doute Éliza aurait dû ressentir un souverain mépris pour l’homme qui épiait tous ses caprices, satisfaisait toutes ses fantaisies et qui l’aimait et l’honorait, toute ci-devant actrice de province qu’elle était, autant qu’il eût pu le faire, si elle eût descendu les marches du trône le plus altier de la chrétienté pour lui donner sa main.

Elle était reconnaissante à son égard, elle l’aimait et elle le rendait parfaitement heureux ; si heureux que le brave Écossais était quelquefois presque frappé d’épouvante en contemplant sa prospérité, et disposé à prier le ciel à deux genoux de ne pas la lui ravir : s’il plaisait à la Providence de l’éprouver, qu’elle le dépouillât de toute sa fortune sans lui laisser un sou, pour débuter de nouveau dans le monde, pourvu que ce fût avec elle. Hélas ! c’était, entre tous, ce bien-là qu’il devait perdre !

Éliza et son mari vécurent pendant un an de cette vie heureuse à Felden. Il voulut l’emmener sur le continent