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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/20

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AURORA FLOYD

ou à Londres passer la belle saison ; mais elle ne put se résoudre à quitter sa charmante maison du Kent. Elle était plus heureuse que les journées n’étaient longues, dans ses jardins et ses serres, au milieu de ses chiens et de ses chevaux, et parmi ses pauvres. Aux yeux de ces derniers, elle était un ange descendu du ciel pour les consoler. Elle avait l’adresse de se faire aimer de ces gens-là avant d’entreprendre de réformer leurs mauvaises habitudes. Dans les premiers temps, en commençant à faire leur connaissance, elle fermait les yeux sur la malpropreté et le désordre de leurs chaumières, comme elle les eût fermés sur un tapis râpé dans le salon d’une duchesse pauvre ; mais peu à peu elle conseillait adroitement telle ou telle petite amélioration dans le ménage de ses protégés, et finissait, en moins d’un mois, sans sermonner ni blesser personne, par opérer une transformation complète. Mme Floyd était excessivement habile dans sa conduite à l’égard de ces paysans vicieux. Au lieu de leur dire tout de suite d’une manière franche et chrétienne qu’ils étaient tous malpropres, dépravés, ingrats, impies, elle faisait de la diplomatie et agissait avec eux comme si elle eût été un candidat sollicitant les suffrages du comté. Par l’appât de chapeaux neufs, elle amenait les jeunes filles à aller régulièrement à l’église ; au moyen de tabac qu’elle leur donnait pour fumer chez eux, et dans quelques cas (oh ! horreur !), grâce au cadeau d’une bouteille de gin, elle détournait les hommes mariés de continuer à fréquenter les cabarets. Elle parvenait à faire nettoyer une cheminée ou un foyer sales, en faisant présent à la maîtresse du logis d’un brillant vase de porcelaine ou d’un garde-feu en cuivre. Une robe neuve lui servait à corriger une humeur acariâtre, et un gilet de toile de Perse à pacifier une querelle de famille invétérée. Mais une année après son mariage, tandis que les jardiniers étaient à l’ouvrage pour mettre à exécution les plans d’embellissement qu’elle avait tracés ; tandis que l’œuvre de la réforme progressait lentement, mais sûrement, parmi les êtres qu’elle comblait de ses bontés et qui lui en étaient reconnaissants ; tandis que les langues de ses détracteurs continuaient à