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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/101

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AURORA FLOYD

et le cabriolet au garçon qui l’attendait, et rentra au petit logement qu’il occupait au village de Meslingham, situé à un mille environ des grilles du Park.

Je sais à peine comment décrire la longue et pénible journée qui suivit la nuit du crime. Aurora semblait frappée de stupeur ; elle ne pouvait soulever la tête de l’oreiller sur lequel elle reposait ; elle avait à peine la force d’ouvrir les paupières qui protégeaient ses yeux alourdis. Elle n’était pas malade ; elle n’affectait pas non plus de l’être. Elle restait étendue sur le canapé de son cabinet de toilette, gardée par sa femme de chambre et visitée de temps en temps par John, qui errait çà et là dans la maison et dans le parc, parlant à beaucoup de monde et revenant toujours à la même conclusion, à savoir : que toute cette affaire était un horrible mystère et qu’il désirait ardemment que l’enquête fût terminée. Il eut des visiteurs de plus de vingt milles à la ronde, car la nouvelle s’était répandue rapidement au loin pendant la matinée ; des visiteurs qui apportaient leurs condoléances et l’assurance de leurs sympathies. Les questions, les conjectures, les marques d’étonnement de tout ce monde étaient plus qu’il n’en fallait pour le rendre fou ; mais il supporta tout patiemment. Il ne pouvait rien leur dire, si ce n’est que l’affaire était aussi mystérieuse pour lui qu’elle l’était pour eux, et qu’il n’avait aucun espoir de trouver le mot de cette sombre énigme. Tous lui faisaient la même question :

— Y avait-il quelqu’un qui eût des motifs pour tuer cet homme ?

Comment pouvait-il leur répondre ? Il aurait pu leur dire que si vingt personnes avaient de puissants motifs pour tuer Conyers, il était possible qu’une vingt-unième personne, qui n’avait pas de motifs du tout, ait commis le crime. Cette sorte d’argument, qui base n’importe quelle hypothèse sur une série de probabilités, peut, après tout, conduire très-souvent à des conclusions erronées.

Mellish n’essaya pas de soutenir ce thème. Il était trop accablé, trop affecté, trop pressé de voir l’enquête terminée et de se voir lui-même libre d’emporter Aurora avec lui et