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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/102

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AURORA FLOYD

de s’éloigner du domaine de Mellish, qui lui était devenu odieux depuis que l’entraîneur en avait franchi l’enceinte.

— Oui, chère enfant, — disait-il à sa femme en se penchant sur elle, — je vous emmènerai dans le midi de la France dès que cette affaire sera terminée. Vous quitterez le théâtre de tous ces souvenirs pénibles, de tous ces ennuis passés. Nous recommencerons la vie.

— Dieu veuille que nous puissions faire ce que vous dites, John, répondait Aurora avec gravité. Ah ! cher John, je ne puis vous dire que je suis fâchée de la mort de cet homme. S’il était mort deux ans plus tôt, quand j’ai cru qu’il était mort, que de misères il m’eût épargnées !

Une fois, pendant le cours de cette longue après-midi, John se rendit au cottage de la porte du nord. Il ne pouvait résister au désir de voir le corps inanimé de l’homme dont la présence lui avait causé tant de vagues inquiétudes, tant de terreurs instinctives. Il trouva l’idiot accoudé sur la grille du petit jardin, et un de ses domestiques assis à la porte de la chambre du mort.

— L’enquête doit commencer demain matin à dix heures au Lion d’Or, — dit Mellish aux deux hommes. — Vous, Hargraves, vous serez appelé comme témoin.

Il passa dans la chambre obscure. Le groom comprit pourquoi il venait, et enleva sans rien dire la draperie qui couvrait la tête de l’entraîneur.

Des mains expérimentées avaient fait leur sinistre devoir : les membres vigoureux avaient été étendus ; la mâchoire inférieure, qui s’était abaissée dans l’agonie d’une mort instantanée, était soutenue par un bandage ; les paupières étaient abaissées sur les yeux d’un bleu foncé, et le visage, qui avait été beau durant la vie, était encore plus beau dans la calme solennité de la mort. Ce corps qui, vivant, avait été privé d’une âme dont les rayons se reflétassent sur lui, trouvait son niveau dans la mort. L’âme indigne était partie, et la perfection physique qui restait avait perdu la seule tache qui la déparait. L’harmonie des proportions, les traits d’une forme exquise, le charme des détails, tout cela