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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/116

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AURORA FLOYD

CHAPITRE XXVIII

Fuite d’Aurora.

Mme Mellish se trouvait dans la chambre de son mari, dans la matinée du jour où eut lieu l’enquête, parmi les fusils, les instruments de pêche, les bottes, les cravaches, les fouets, et tout l’attirail du sportsman. Elle s’était assise dans un immense fauteuil près de la fenêtre ouverte, la tête penchée sur les coussins recouverts de perse, et les yeux vaguement plongés sur la pelouse et les parterres de fleurs, dans la direction du sentier par lequel, selon toutes probabilités, Mellish reviendrait du Lion d’Or.

Elle avait défié ouvertement Mme Powell, et avait fermé la porte de cette pièce tranquille sur les civilités stéréotypées et les sourires sympathiques de cette dame. Le vieux chien s’était étendu à ses pieds, sa lourde tête appuyée sur ses genoux, et ses gros yeux ternes fixés sur elle. Elle était seule, ai-je dit ; mais elle n’était pas sans compagnons : les noirs soucis et les inquiétudes corrosives lui tenaient fidèlement compagnie, et n’auraient pas bougé de ses côtés. Quels compagnons sont plus fidèles que les peines et les misères ? quels hôtes sont plus tenaces, quels amis sont plus infatigables ? Cette malheureuse femme était seule au milieu d’un océan de chagrins, craignant sans cesse de tendre ses mains à ceux qui l’aimaient, dans la crainte de les entraîner avec elle dans ce gouffre qui s’entr’ouvrait pour l’engloutir.

— Oh ! si je pouvais être seule à souffrir, — se disait-elle, — si je pouvais être seule à souffrir toutes ces misères, je crois que je les supporterais jusqu’à la fin sans me plaindre ; mais la honte, la dégradation, l’angoisse, pèseront sur d’autres plus lourdement que sur moi. Que ne souffri-