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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/121

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AURORA FLOYD

regarda, — il la regarda avec une expression triomphante et railleuse dans ses petits yeux.

Elle se redressa, toujours fière, toujours fière et brave, malgré tout ; mais son visage était changé, l’expression du désespoir le plus absolu avait cédé à celle de la douleur concentrée.

— On a trouvé le certificat, — dit l’idiot. — Il le portait sur lui, cousu dans la doublure de son gilet.

Le certificat ! que le ciel ait pitié de l’ignorance de la jeune fille. Elle n’y avait jamais songé ; jamais elle ne s’était souvenue de cette misérable feuille de papier qui était aujourd’hui la preuve légale de sa folie. Elle avait redouté la présence de ce mari qui semblait sortir de la tombe pour la tourmenter ; mais elle avait oublié cette autre preuve du registre de la paroisse, qui pouvait aussi s’élever contre elle à tout instant. Elle avait craint la découverte de quelque chose, d’une lettre, d’un portrait, de quelque souvenir trouvé en la possession de l’homme assassiné ; mais elle n’avait jamais songé à cette preuve plus concluante, à cette preuve incontestable. Le certificat de son mariage avec le groom de son père était entre les mains de Mellish !

— Que va-t-il penser de moi ? — se disait-elle. — Comment me croira-t-il jamais si je lui dis que j’ai reçu ce que je croyais la preuve évidente de la mort de Conyers, un an avant mon second mariage ? Comment pourra-t-il me croire ? Je l’ai trompé trop cruellement pour oser lui demander d’avoir confiance en moi.

Elle essayait de rassembler ses idées, de décider ce qu’elle devait faire, et dans son embarras, dans sa douleur, elle oublia un moment les yeux avides qui semblaient boire ses angoisses. Mais bientôt elle se souvint, et se tournant froidement vers Hargraves, elle lui parla d’une voix singulièrement claire et assurée :

— C’est tout ce que vous aviez à me dire ? — fit-elle. — Veuillez vous retirer pour que je ferme la fenêtre.

L’idiot se recula : elle ferma la fenêtre, et tira les rideaux pour s’isoler plus complètement du hideux espion qui s’éloigna à pas lents du côté du bois.