Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
AURORA FLOYD

à cette idole et avait crié à haute voix à tous ceux qui l’approchaient, de s’agenouiller, et d’adorer ; et il était responsable devant le monde de la pureté de sa divinité. Il ne pouvait pas avoir moins de respect pour elle que pour l’idole que son amour en avait faite parfaite, sans tache, inattaquable. La honte, quand il s’agissait d’elle, ne connaissait aucun degré dans son esprit.

Ce n’était pas à sa propre humiliation qu’il pensait, alors que sa figure devint pourpre quand il songea à la rumeur qu’il y aurait dans le pays si cette fatale révélation de la jeunesse d’Aurora venait à se répandre : c’était la pensée de sa honte à elle qui lui tombait sur le cœur. Jamais il ne s’inquiéta du ridicule qui probablement retomberait sur lui.

C’est en cela que Mellish et Bulstrode étaient si essentiellement différents dans leur manière d’aimer et de souffrir. Talbot avait recherché une femme dont l’honneur pourrait rejaillir sur lui, et s’était éloigné d’Aurora à la première épreuve de son amour, ébranlé par d’horribles appréhensions sur son propre danger. Mellish avait noyé sa personnalité dans celle de la femme qu’il aimait. Elle était sa foi et son adoration, et c’était pour sa réputation perdue qu’il pleurait dans ce cruel jour de honte. L’offense qu’il avait trouvée si difficile à pardonner, ce n’était pas le tort qu’elle lui avait fait à lui, mais cet autre et plus fatal tort que cela lui faisait à elle-même. J’ai dit que son affection était absolue et participait à toutes les plus hautes attributions de cette sublime abnégation de soi-même qui s’appelle amour. La souffrance qu’il ressentit ce jour-là était la même que celle qu’Archibald Floyd avait éprouvée bien des années auparavant. C’était une torture qu’il supportait pour Aurora et non pour lui ; et, dans sa lutte contre la colère pleine de douleur qu’il ressentait pour sa folie, chacune de ses perfections prirent les armes de l’indignation et combattirent contre leur propre maîtresse. Si elle avait été moins belle, moins semblable à une reine, moins généreuse, moins grande et moins noble, il aurait pu lui pardonner plus aisément la honte qu’elle s’était attirée. Mais elle était si parfaite ; et combien l’était-elle… combien l’était-elle ?