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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/131

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AURORA FLOYD

plutôt que d’éveiller la curiosité de Mme Powell par la plus petite dérogation au cours ordinaire des événements.

Les fenêtres du salon furent ouvertes, et la lueur d’une pâle toilette de mousseline apparut à l’une d’elles. C’était Mme Powell qui était assise dans une attitude contemplative et qui considérait le ciel.

Elle ne pensait pas à cette gloire de l’occident se fondant dans des teintes rougies et dorées par l’astre du jour. Elle pensait que si Mellish renvoyait la femme qui l’avait trompé et qui n’avait jamais légalement été sa femme, le domaine du comté d’York serait une belle place pour y vivre, une belle place pour une femme de charge qui savait la manière d’obtenir de l’influence sur son maître et qui avait son secret et celui de la faute de sa femme pour l’aider à dominer.

— Il est tellement aveugle et tellement infatué d’elle, — pensa la veuve de l’enseigne, — que s’il rompt avec elle demain, il l’aimera toujours de même, et fera quoi que ce soit pour garder son secret. Laissons aller tout comme cela voudra ; ils seront en mon pouvoir, ils seront tous deux en mon pouvoir, et je ne serai plus longtemps dans leur dépendance, et ils ne pourront plus me renvoyer en m’avertissant trois mois d’avance quand il leur plaira de se fatiguer de moi.

Le pain de la servitude n’est pas un agréable régime ; mais il y a plusieurs manières de manger une même nourriture. Mme Powell avait l’habitude de recevoir des faveurs à contre-cœur, comme elle les aurait données, si son sort avait été de donner au lieu de recevoir. Elle mesurait les autres à son niveau, et était impuissante à comprendre ou à croire aux franches impulsions d’une nature généreuse. Elle savait qu’elle était un membre inutile dans le ménage du pauvre John et que le squire pouvait facilement se dispenser de sa présence. Elle savait enfin qu’Aurora l’avait gardée par pitié et n’ignorait pas son manque d’amitié pour elle ; et n’ayant ni reconnaissance, ni bons sentiments à rendre en retour d’un abri confortable, elle sentait la pauvreté de sa nature et haïssait ceux qui la faisaient vivre, à