Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
AURORA FLOYD

loge du nord ; si cet homme avait vécu, il l’aurait réclamée et me l’aurait reprise par le droit que lui donnait le papier qui est dans ma poitrine, je me serais alors attaché à elle, je l’aurais suivi partout où il serait allé, et j’aurais voulu vivre près de lui, afin qu’elle pût trouver un défenseur contre tout mal ! J’aurais été son serviteur, le serviteur volontaire et le familier résigné d’un manant, si j’avais pu lui être utile en endurant son insolence. Ainsi, ma chérie, ma chérie, murmura le jeune squire avec un tendre sourire, c’est plus mal encore qu’insensé de m’écrire cette lettre, et encore plus inutile que cruel de quitter l’homme qui vous aurait suivie jusqu’aux confins les plus éloignés de notre vaste monde.

Il mit la lettre dans sa poche et prit son chapeau sur la table. Il était prêt à partir ; à peine savait-il pour quelle destination ; pour le bout du monde, peut-être, à la recherche de la femme qu’il aimait. Mais il allait à Felden avant de commencer ce long voyage, car il croyait fermement que, dans sa terreur insensée, Aurora se serait enfuie chez son père.

— Ne pas penser que, quoi qu’il arrive, rien ne pourra changer ni affaiblir mon amour pour elle, — dit-il ; — folle enfant !… folle enfant !…

Il sonna un domestique et commanda de préparer son plus petit portemanteau. Il devait partir pour la ville pour un jour ou deux, et devait partir seul. Il regarda sa montre ; il n’était que huit heures un quart, et la malle quittait Doncastre seulement à minuit et demi. Il y avait donc beaucoup trop de temps à attendre pour la fiévreuse impatience de Mellish, qui aurait fait chauffer une machine pour lui seul, si les employés du chemin de fer l’eussent voulu. Il y avait quatre longues heures pendant lesquelles il devait patienter, se déchirant le cœur dans son désir anxieux de suivre la femme qu’il aimait, de la prendre sur sa poitrine, de la consoler, de la protéger, de lui dire que le véritable amour ne cesse ni ne change. Il ordonna que sa voiture fût prête pour onze heures. Il y avait bien un train omnibus qui partait de Doncastre à dix heures ; mais comme il arrivait à