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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/136

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AURORA FLOYD

Londres seulement dix minutes avant la malle, il n’était guère préférable. Mais lorsque l’heure de son départ se fut écoulée, Mellish se reprocha amèrement la perte de ces dix minutes, et se tourmenta de l’idée que, par ce retard, il avait pu manquer la chance de retrouver immédiatement Aurora.

Il était neuf heures avant qu’il se soumît à la nécessité de faire semblant de se mettre à table pour dîner. Il prit sa place au bout de la table et envoya chercher Mme Powell, qui apparut pour répondre à son invitation, et s’assit avec un air parfaitement affecté de ne pas s’apercevoir que le dîner avait été retardé d’une heure et demie.

— Je suis fâché de vous avoir fait attendre si longtemps, madame Powell, — dit-il en envoyant à la veuve de l’enseigne une assiette pleine d’une soupe claire, qui était de la consistance de la limonade, — la vérité est que je… je… je suis forcé d’aller à Londres par le train poste.

— Pas pour des affaires désagréables, j’espère ?

— Oh ! non, pas du tout. Mme Mellish est allée chez son père et m’a demandé de venir la rejoindre, — ajouta John, disant un mensonge avec beaucoup d’embarras, mais sans beaucoup de remords.

Il ne parla plus de tout le dîner. Il mangea quelque chose que les domestiques posèrent devant lui, et but beaucoup de vin ; mais il mangea et but sans le savoir, et quand la nappe fut enlevée et qu’on le laissa seul avec Mme Powell, il resta assis et fixa son regard sur la lumière des candélabres reflétée dans l’acajou. Ce ne fut que quand la dame de compagnie se laissa aller à une petite toux de convenance, et qu’elle se leva avec l’intention de quitter la salle à manger, qu’il sortit de sa longue rêverie et leva subitement la tête.

— Ne vous en allez pas maintenant, s’il vous plaît, madame Powell, — dit-il, je serais bien aise que vous restassiez assise quelques minutes encore. Je désire vous dire un mot ou deux avant de quitter Mellish Park.

Il se leva en parlant, et désigna une chaise. Mme Powell s’assit elle regarda sérieusement avec une gravité de vi-