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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/140

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AURORA FLOYD

l’auteur de cette histoire. Aurora, avec son voile baissé sur sa figure, attira peu leur attention. Ils parlaient marchés et courses de chevaux, et regardaient à chaque instant par la portière, et ensuite levaient les épaules quand ils voyaient autre chose que de l’agriculture.

Je crois qu’ils connaissaient le rapport de chaque acre de terre entre Doncastre et Harrow, et qu’ils savaient comment on aurait pu lui faire produire dix shillings de plus, comme ils se le disaient.

Combien leur conversation devait paraître fatigante à cette pauvre créature isolée qui fuyait l’homme qu’elle aimait, l’homme qui l’aimait, et l’aimerait jusqu’à la fin des siècles !

— Je ne pensais pas ce que j’écrivais, se disait-elle. — Mon pauvre mari ne m’en aimera pas moins. Son grand cœur est fait d’un amour qui n’est pas égoïste et d’un généreux dévouement ; mais il sera fâché… si fâché pour moi… si fâché !… Il ne pourra plus être fier de moi, il ne pourra plus s’enorgueillir de moi. Il croira toujours ressentir une insulte ou s’imaginera un manque de respect. Ce serait trop pénible pour lui : il verrait sa femme montrée du doigt comme la femme qui a épousé son groom. Il se trouverait mêlé dans mille querelles, dans cent misères. Je veux lui rendre la seule chose que je puisse lui donner pour sa bonté pour moi : la tranquillité ; je l’abandonnerai, je m’en irai me cacher pour toujours.

Elle essaya de s’imaginer ce que la vie de John serait sans la sienne, elle essaya de penser à lui dans un temps à venir, lorsqu’il aurait laissé de côté ses chagrins et qu’il aurait oublié sa perte, mais elle ne le put pas ; elle ne put jamais se représenter le moment où il abandonnerait son amour pour elle.

— Comment pourrai-je toujours penser à lui sans penser à l’amour qu’il a pour moi ? — se dit-elle. — Il m’a aimée depuis le premier moment qu’il m’a vue : je ne l’ai jamais connu que comme amant : généreux, sincère et fidèle.

Dans cet état d’esprit, Aurora regardait les plus petites stations qui ressemblaient à de simples bandes de bois lorsque l’express passait, quoique chacune d’elle fût une borne