Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
138
AURORA FLOYD

Que sera sa vie désormais ? Elle fermait les yeux sur ce lugubre avenir.

— Je retournerai chez mon père, — pensait-elle, — je retournerai vers lui comme j’y suis déjà revenue une fois, mais, cette fois-ci, il n’y aura point de tromperie, point d’équivoque, et rien ne me fera le quitter.

Au milieu de toutes ses perplexités, elle s’attacha à l’idée que Lucy et Talbot l’aideraient : elle voulait implorer Bulstrode en faveur de John qui avait le cœur brisé.

— Talbot me dira ce qui est juste et honorable de faire, — pensa-t-elle ; — je ferai ce qu’il me dira ; il sera l’arbitre de ma destinée.

Je ne crois pas qu’Aurora eût jamais ressenti un amour très-passionné pour le bel habitant de Cornouailles, mais il est certain qu’elle l’avait toujours respecté. Il se peut que l’amour qu’elle avait eu pour lui se fût changé en un grand respect et que son estime pour son caractère fût rendue d’autant plus grande par le contraste qui existait entre lui et le vil séducteur auquel sa jeunesse avait été sacrifiée. Elle s’était soumise au décret qui l’avait séparée de son fiancé, car elle avait cru en sa justice, et elle était prête maintenant à se soumettre à la décision prononcée par cet homme, dont le sentiment d’honneur lui inspirait une confiance sans limite.

Elle songea à plusieurs reprises à ces choses pendant que les fermiers parlaient de brebis et de raves, du mélange de Thorley, des semences et des haricots, du blé, du trèfle, et des mystérieuses maladies des bestiaux et du houblon, etc. Ils changèrent de conversation et parlèrent de courses, et même, au milieu de ses chagrins absorbants et de ses souffrances domestiques, Mme Mellish lança un regard furieux sur ces innocents fermiers quand ils se moquèrent de l’écurie de John et démolirent la réputation de son homonyme, la jument baie, et déclarèrent qu’aucun cheval sortant des écuries du squire ne valait plus de vingt livres.

Le voyage tira à sa fin, seulement trop vite au gré d’Aurora : trop vite, car chaque mille élargissait l’abîme qu’elle