Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
AURORA FLOYD

avait mis entre elle et la maison qu’elle aimait ; chaque moment rendait sa résolution irrémédiable.

— Je suivrai le conseil de Bulstrode, — dit-elle en elle-même.

Et, en vérité, cette pensée était le seul roseau auquel elle s’accrocha dans sa douleur. Elle n’était pas forte d’esprit. Elle avait une de ces natures généreuses et vives qui naturellement se portent vers les autres pour les aider et les consoler. La dissimulation n’entrait pas dans son organisation, et la nécessité de cacher quelque chose de sa vie avait été un perpétuel chagrin et une souffrance intense pour elle.

Il était huit heures passées quand elle se trouva seule parmi le bruit et la confusion du débarcadère de King’s Cross. Elle envoya un commissionnaire chercher un cab et donna ordre au cocher de la conduire à Halfmoon Street.

Quelques jours seulement s’étaient écoulés depuis qu’elle avait rencontré Lucy et Talbot à Felden et elle savait que Bulstrode et sa femme étaient retenus à la ville, attendant la prorogation du Parlement.

C’était un samedi soir, et par conséquent un jour de congé pour le jeune défenseur des mineurs de Cornouailles ; mais Talbot employait ses loisirs parmi les livres bleus et les procès-verbaux du Parlement, et la pauvre Lucy, qui aurait pu briller, comme une pâle étoile, à quelque conversazione encombrée, était forcée de renoncer au plaisir de se démener sur l’escalier d’un de ces sages personnages qui persistent à inviter deux fois plus de monde que leur appartement ne peut en contenir.

Lucy abandonnait volontiers ses propres plaisirs ; car elle avait au suprême ce tact social qui n’appartient qu’aux femmes et qui avait fait partie de son éducation. Sa nature placide ne connaissait pas de tendances anormales. Elle aimait les amusements que les autres jeunes femmes de sa position aimaient. Elle n’avait aucune de ces prédilections excentriques qui avaient été si fatales à sa cousine. Elle n’était pas comme cette charmante et illustre dame espagnole qui, disait-on, aimait mieux le cirque que l’opéra,