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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/146

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AURORA FLOYD

— Non, Lucy, non, — répondit Bulstrode posant la main sur la porte et se mettant entre elle et sa femme. — Je préfère que vous ne voyiez pas votre cousine avant que je l’aie vue. Il vaut mieux que je la voie le premier.

Sa figure devint sérieuse et ses manières presque graves en disant cela. Lucy s’éloigna de lui comme s’il l’avait blessée. Elle comprit, vaguement il est vrai, mais elle comprit qu’il avait des doutes ou des soupçons sur sa cousine, et, pour la première fois de sa vie, Bulstrode vit dans les yeux bleus de sa femme un regard de mécontentement.

— Pourquoi voulez-vous m’empêcher de voir Aurora ? — demanda Lucy. — C’est la meilleure personne du monde, et je l’aime par-dessus tout, pourquoi ne la verrais-je pas ?

Talbot regarda sa femme avec un grand étonnement.

— Soyez raisonnable, ma chère Lucy, — répondit-il très-doucement. — J’espère toujours pouvoir respecter votre cousine… autant que je vous respecte. Mais si Mme Mellish a quitté son mari dans le comté d’York et est venue ici sans sa permission, car il ne lui aurait jamais permis devenir seule, elle doit m’expliquer pourquoi elle l’a fait, avant que je consente à ce que ma femme la reçoive.

La belle tête de la pauvre Lucy se baissa à ce reproche. Elle se rappela sa dernière conversation avec sa cousine, cette conversation dans laquelle Aurora avait parlé d’un jour de douleurs éloigné, qui pouvait la conduire, pour demander une consolation et une protection, à Halfmoon Street. Ce jour de chagrin était-il déjà venu ?

— Est-ce donc mal à Aurora d’être venue seule, Talbot ? — demanda Lucy doucement.

— Si c’est mal ? — répéta Bulstrode furieux. — Serait-ce mal à vous de vous en aller seule d’ici dans le pays de Cornouailles, chère enfant ?

Il était irrité à la simple idée d’un tel outrage, et il regarda Lucy comme s’il la soupçonnait à demi d’une telle intention.