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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/150

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AURORA FLOYD

sine. Était-ce là l’humiliation secrète qui l’avait fait se prosterner à ses pieds dans la chambre de Felden ?

— Ô Talbot ! comment aurais-je pu vous dire cela ? Comment puis-je vous dire maintenant pourquoi j’ai fait cette folie et cette mauvaise action, comment j’ai flétri le bonheur de ma jeunesse par ma propre faute, et apporté la honte et le chagrin à mon père ? Je n’avais pas pour cet homme un amour fou, qui m’accaparât tout mon être. Je ne puis mettre en avant l’excuse que quelques femmes ont pour leur folie. J’avais seulement une fantaisie sentimentale de jeune pensionnaire pour ses manières brillantes, seulement une admiration frivole de jeune fille pour sa belle figure. Je l’épousais parce qu’il avait des yeux bleu foncé et des cils noirs, et des dents blanches, et des cheveux bruns. Il s’était mis sur le pied d’une espèce de familiarité avec moi, en me rapportant les commérages des courses, en faisant attention à mes chevaux favoris, et en caressant mes caprices. Toutes ces choses amenèrent entre nous quelques rapports : il m’accompagnait toujours quand je montais à cheval, et il cherchait depuis longtemps à me raconter son histoire. Bah ! pourquoi vous en ennuierais-je ? — dit Aurora douloureusement. — C’était un prince déguisé, naturellement ; il était le fils d’un gentilhomme ; son père avait eu des chevaux de chasse ; il avait été en guerre avec la fortune ; on avait mal agi avec lui, et il avait été écrasé dans la bataille de la vie. Sa parole donnait à tout cela un certain air, et je le crus. Pourquoi ne l’aurais-je pas cru ? J’avais vécu toute ma vie dans une atmosphère de vérité. Ma gouvernante et moi, nous parlions continuellement de l’histoire romanesque du groom. C’était une sotte femme, et elle encourageait ma folie, rien que par simple stupidité, je crois, et sans avoir le soupçon du mal qu’elle faisait. Nous faisions la revue de la figure du beau groom, de ses mains blanches, de ses manières aristocratiques. Je prenais son insolence pour une bonne éducation ; que le ciel me vienne en aide ! Et comme nous vivions dans ce temps sans voir presque aucune société, je comparais le groom de mon père avec les quelques hôtes qui venaient à