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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/151

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AURORA FLOYD

Felden, et le misérable profita de la comparaison avec des gentilshommes de province. Pourquoi essayerais-je de vous expliquer ma folie, Talbot ? Jamais je n’y arriverais, quand bien même je parlerais pendant une semaine entière ; je ne peux pas même me l’expliquer à moi-même. Je ne puis que regarder en arrière, revoir cet horrible temps, et me demander de quoi j’étais folle.

— Ma pauvre Aurora !… ma pauvre Aurora !…

Il parlait avec ce ton de pitié avec lequel il l’aurait consolée, si elle eût été un enfant. Il pensait à elle exposée, dans son ignorance enfantine, aux avances insidieuses d’un imposteur sans scrupule, et son cœur saigna pour la pauvre enfant privée de mère.

— Mon père trouva quelques lettres écrites par cet homme et découvrit que sa fille s’était fiancée à son groom. Il fit cette découverte pendant que j’étais sortie à cheval avec James Conyers, le nom du groom était Conyers, et, quand je revins à la maison, une terrible scène eut lieu. Je fus assez folle pour défendre ma conduite et je reprochai à mon père son peu de libéralité dans les sentiments. J’allai plus loin : je lui rappelai que la maison Floyd et Floyd était d’une très-humble origine. Il me mena à Paris le jour suivant. Je pensais qu’on me traitait cruellement. Je me révoltai contre la froide monotonie du couvent ; je détestai les études, qui étaient dix fois plus difficiles que ce que j’avais fait avec ma gouvernante ; je souffris terriblement de la réclusion du couvent, car j’avais été habituée à courir en liberté par les chemins des environs de Felden ; et avec tout cela, le groom me poursuivait avec des lettres et des messages, car il m’avait suivie à Paris et avait dépensé son argent avec insouciance, pour gagner les domestiques de la pension. Il jouait sur une grande échelle, et il joua si désespérément qu’il gagna. Je me suis sauvée de la pension et me suis mariée à Douvres huit ou neuf heures après mon évasion de la rue Saint-Dominique.

Elle cacha sa figure dans ses mains, et demeura silencieuse quelque temps.

— Que le ciel ait pitié de ma misérable ignorance ! — dit-