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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/157

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AURORA FLOYD

parce qu’il n’a pas d’autre genre de force ; mais à Londres, dans les universités du crime, la fourberie et le vice, la violence et le péché s’immatriculent et s’élèvent de jour en jour pour prendre leurs degrés dans les refuges du crime ou sur l’échafaud. Comment pouvait-il être autrement que plein de tristesse en pensant à tout cela ? Est-ce que les Villes de la Plaine étaient pires que cette dernière cité, dans laquelle il y a tant d’hommes sérieux et bons, travaillant patiemment tous les jours et prenant peu de repos ? Est-ce que la grande accumulation du mal était si lourde qu’elle devait rouler toujours en arrière sur les Sysiphes non fatigués ? Ou faisaient-ils quelques pas imperceptibles vers le sommet de la montagne, malgré tous les découragements ?

En débattant cette fatigante question dans son cerveau, Bulstrode marchait le long de Piccadilly ; mais à la porte de la taverne de Gloucester, il s’arrêta pour regarder une nerveuse jument bai brun, qui s’entêtait à faire plusieurs exercices sur ses jambes de derrière, au grand ennui d’un garçon d’écurie non rasé, et particulièrement peu à l’avantage d’un brillant petit dog-cart auquel elle était attelée.

— Vous n’avez pas besoin de lui mettre la bouche en sang, mon garçon, — cria une voix, depuis l’entrée de l’hôtel ; — menez-la doucement, et elle sera bientôt tranquille. Là, ma fille…, là…, — ajouta celui auquel appartenait la voix, marchant vers le dog-cart tout en parlant.

Talbot avait raison de s’arrêter court, car c’était Mellish, dont le visage pâle et défait, les cheveux en désordre, indiquaient une nuit sans sommeil.

Il allait sauter dans le dog-cart, quand son vieil ami lui tapa sur les épaules.

— C’est un heureux hasard, John ; car vous êtes la personne que je désire voir, — dit Bulstrode. — Je viens de vous envoyer une dépêche par le télégraphe.

John le regarda étonné avec une figure livide.

— Ne m’arrêtez pas, je vous prie, — dit-il, — je vous parlerai un peu plus tard. J’irai chez vous dans un jour ou deux ; je pars pour Felden. Je suis seulement ici depuis