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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/161

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AURORA FLOYD

avait été faite pour Mme du Barry, à ce que le marchand de rococo avait dit à Talbot. (Si son acheteur avait été une dame, je crois que Marie Antoinette-aurait été désignée comme ayant primitivement possédé cette porcelaine.) Mme Bulstrode aimait à servir son époux. Elle enlevait les foies gras des oies martyrisées de pâtés de Strasbourg pour sa délectation ; elle étendait le beurre sur son pain grillé, et le caressait et le servait comme certaines femmes servent leurs idoles. Mais ce matin-là elle avait sa cousine à consoler, et elle plaça Aurora dans un vaste fauteuil, sur le seuil de la serre, et s’assit à ses pieds.

— Ma pauvre chérie, que vous êtes pâle ! — dit-elle tendrement, — que puis-je faire pour ramener les roses sur vos joues ?

— Aimez-moi et ayez pitié de moi, chère, — répondit Aurora gravement, — mais ne me faites pas de questions.

Les deux femmes étaient assises ainsi depuis quelque temps ; la belle tête d’Aurora était baissée sur la gracieuse figure de Lucy, et ses mains serraient celles de sa cousine. Elles parlaient très-peu, et ne disaient que des choses indifférentes à propos du bonheur de Lucy et de la carrière parlementaire de Talbot. La petite pendule de la cheminée sonna huit heures moins un quart ; elles étaient matinales, ces douces jeunes femmes, et, une minute après, Mme Bulstrode entendit le pas de son mari, revenant de la promenade avant le déjeuner. C’était son habitude de faire une course pour sa santé dans Green Park, aussi Lucy ne s’était-elle pas inquiétée de son excursion matinale.

— Talbot est entré avec le passe-partout dit Mme Bulstrode, et je puis verser le thé, Aurora. Mais écoutez donc : il me semble qu’il y a quelqu’un avec lui.

Ce n’était pas nécessaire de prier Aurora d’écouter : elle s’était levée de son siège, et restait raide et sans mouvement, respirant d’une manière précipitée et agitée, en regardant la porte. Outre le pas de Bulstrode, il y en avait un autre plus prompt et plus lourd, un pas qu’elle connaissait bien.

La porte s’ouvrit, et Talbot entra, suivi par un visiteur