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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/162

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AURORA FLOYD

qui poussa son hôte de côté, avec très-peu d’égard pour les lois sociales, et, en vérité, jeta Bulstrode en arrière, tout près d’une corbeille de fleurs. Mais ce vigoureux Mellish n’avait aucune intention d’être si sans façon et si brutal. Il mit de côté son ami comme il aurait poussé ou essayé de pousser de côté un régiment de soldats, la baïonnette au fusil, ou un canon de Lancastre, ou un océan en colère, ou tout autre obstacle qui serait venu se placer entre lui et Aurora. Elle tomba dans ses bras avant même que, dans sa surprise, elle pût prononcer son nom à haute voix ; et, un moment après, elle sanglotait sur sa poitrine.

— Ma chérie !… ma mignonne !… — dit-il en lissant ses cheveux dépeignés avec sa large main, et la bénissant et pleurant sur elle ; — mon seul amour ! Comment avez-vous pu faire cela ? Comment avez-vous pu me faire autant de mal ? Ma précieuse chérie, n’aviez-vous pas appris à m’aimer mieux que cela dans notre heureuse vie de mariage ?

— Je venais pour demander conseil à Talbot, — dit-elle sérieusement, — et je pense me conduire d’après ses avis, quelque cruels qu’ils soient.

Bulstrode souriait gravement en regardant ces deux insensés. Il était charmé de la part qu’il avait prise dans ce drame domestique, et il les contemplait avec la conscience intime d’être l’auteur de tout ce bonheur. Car ils étaient heureux. Le poète a dit qu’il y a quelques moments, très-rares, très-précieux, très-courts, qui ne relèvent que d’eux-mêmes, et ont leur parfaite somme de joie, ne prenant rien du passé, ne demandant rien à l’avenir. Si John et Aurora avaient su qu’ils devaient être séparés par la longueur de l’Europe pour le reste de leur vie, ils n’en auraient pas moins versé des larmes de joie à la pure félicité de cette réunion.

— Vous m’avez demandé un conseil, Aurora, — dit Talbot, — et je vous l’apporte. Laissez mourir le passé avec l’homme qui est mort l’autre soir. L’avenir n’est pas à vous pour que vous puissiez en disposer : il appartient à votre époux.

Ayant ainsi donné son opinion, Bulstrode se mit à table