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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/169

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AURORA FLOYD

toute-puissante n’avait-elle pas été la cause première des chagrins de sa fille, puisque c’est elle qui l’avait jetée, jeune, inexpérimentée et confiante, dans les mains profanes d’un méchant homme, qui n’eût pas pris garde à elle sans la fortune qui avait fait d’elle une proie pour tout aventurier auquel viendrait l’idée de tenter de la capturer ?

Avec ce souvenir toujours présent à l’esprit, il n’était pas étrange que Floyd supportât avec une certaine crainte le fardeau de ses richesses, sachant que, quoi qu’il pût être à la Bourse ou à la Banque, il n’était, aux yeux du ciel, qu’un faible vieillard soumis comme tous aux douleurs, aux chagrins, et dépendant humblement de la miséricorde de la Main qui est seule assez puissante pour épargner ou affliger, selon la volonté de Celui qui la guide.

Aurora s’éveilla de son long sommeil pendant que son père était à l’église. En s’éveillant, elle trouva son mari qui veillait à ses côtés, les journaux du dimanche oubliés sur ses genoux, et son regard honnête fixé sur les traits qu’il aimait.

— Mon bien cher John, — dit-elle en soulevant sa tête, en s’appuyant sur son coude et en tendant une main à Mellish, — mon bien cher ami, combien nous sommes heureux ensemble maintenant ! Quelque chose viendra-t-il encore briser notre bonheur, cher, et se peut-il que le ciel soit assez cruel pour nous affliger davantage ?

La fille du banquier, dans la souveraine vitalité de sa nature, s’était révoltée contre l’affliction, comme si c’était une partie de sa vie étrangère et anormale. Elle avait demandé le bonheur presque comme un droit ; elle s’était étonnée de ses maux, et n’avait pu comprendre pourquoi elle était ainsi affligée. Il est des natures qui acceptent la souffrance avec une douceur patiente et reconnaissent la justice des maux dont elles souffrent ; mais Aurora n’avait jamais rien admis de semblable. Son âme s’était révoltée contre la douleur, et elle s’éveillait maintenant en plein dans la joie qu’elle ressentait d’être débarrassée de liens qui lui avaient été si odieux, et elle provoquait la Providence par ses prétentions à être toujours heureuse.