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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/192

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AURORA FLOYD

lèvres de ces tristes détails. Cela semblait d’autant plus étrange encore qu’Hargraves montrait quelque répugnance à parler librement sur ce triste thème.

— Et qui penses-tu, Steeve, qui eût lieu de lui en vouloir ? — demanda l’aubergiste. — Est-ce que lui et M. Mellish se sont querellés sur la gestion de l’écurie ?

— Lui et M. Mellish n’ont jamais échangé une parole, à ce que j’ai entendu dire, — répondit l’idiot.

Il appuya tellement sur le mot monsieur, que les trois hommes le regardèrent avec étonnement, et Prodder ôta sa pipe de sa bouche et saisit le dos de la chaise voisine aussi fermement que s’il avait l’idée de lancer cette partie de l’ameublement sur la tête de l’idiot.

— Qui donc alors pouvait avoir quelque chose contre cet homme ? — demanda quelqu’un.

Prodder savait à peine qui parlait, car toute son attention était concentrée sur Hargraves, et son regard ne se détourna pas une fois de cette figure blême, triste, clignotant des yeux.

— Qui est-ce qui l’a rejoint tard, le soir, près de la grille du nord ? — murmura Stephen. — Qui est-ce qui ne pouvait trouver des mots assez durs pour lui, ni des regards assez irrités pour lui ? Qui est-ce qui lui a écrit une lettre ? Je l’ai prise et je compte bien la garder. Qui est-ce qui lui a demandé de se trouver à tel et tel moment dans le bois, le soir même du crime ? Qui est-ce qui l’a rencontré dans l’obscurité, comme d’autres pourraient le dire aussi bien que moi ? Qui était-ce qui a fait cela ?

Personne ne répondit. Les hommes se regardaient les uns les autres, puis regardaient l’idiot, bouche béante, mais ne disaient rien. Prodder saisit le barreau le plus élevé de la chaise de bois encore plus fortement, et sa large poitrine se soulevait et retombait sous son vêtement bourgeois comme une mer en colère ; mais il était assis dans l’ombre et personne ne le remarqua.

— Qui est-ce qui s’est sauvée de sa maison et s’est cachée après l’enquête ? — murmura l’idiot. — Qui est-ce qui a été effrayée de rester dans sa demeure et s’est enfuie à