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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/194

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AURORA FLOYD

— C’est un mensonge ! — hurla le marin. — Chien de menteur ! vous savez que c’est un mensonge ! Donnez-moi quelque chose, — cria Prodder. — Donnez-moi quelque chose, quoi que ce soit, et vite, que je puisse écraser cet homme comme un biscuit de mer trempé, car si j’use de mes poings, je le tuerai aussi sûr que je suis ici. C’est l’enfant de ma sœur Éliza que vous voulez perdre, n’est-ce pas ? Vous auriez mieux fait de tenir votre bouche fermée tandis que vous étiez dans la société de son oncle. Quand je pense que je suis resté tranquille ici, s’écria le Capitaine avec un vague ressouvenir qu’il s’était trahi, ainsi que son projet. Mais pouvais-je rester tranquille et entendre dire des mensonges sur ma propre nièce ? Faites attention, ajouta-t-il en secouant l’idiot au point que les dents d’Hargraves s’entrechoquaient, ou j’enfonce vos dents crochues dans votre affreux gosier, pour vous empêcher de dire davantage de mensonges sur l’unique enfant de ma pauvre sœur.

— Ce n’est pas des mensonges, — murmura l’idiot en grognant. — J’ai dit que je m’étais emparé de la lettre, et je l’ai. Lâchez-moi et je vous la montrerai.

Le marin lâcha le sale morceau de cravate par lequel il avait tenu Hargraves ; mais, néanmoins ! il le tenait par le collet de son habit.

— Dois-je vous montrer cette lettre ? — dit l’idiot.

— Oui !

Hargraves fouilla dans ses poches pendant quelques minutes et en retira un sale morceau de papier froissé.

C’étaient les quelques mots qu’Aurora avait adressés à Conyers, pour lui dire qu’elle le retrouverait dans le bois. Après l’avoir lu, l’homme assassiné avait jeté ce papier sans y faire attention, et il avait été ramassé par Hargraves.

Il ne voulut pas confier ce précieux document à d’autres qu’à ses mains grossières ; mais il le tint devant Prodder pour qu’il le regardât.

Le marin le fixa, anxieux, effrayé, craintif : à peine comprenait-il l’importance de ce misérable fragment de conviction formidable. Il y avait là des mots écrits d’une main hardie, à peine féminine. Mais ces mots eux-mêmes ne