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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/205

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AURORA FLOYD

CHAPITRE XXXV

Sous un nuage.

Bulstrode et sa femme vinrent à Mellish Park peu de jours après le retour de John et d’Aurora. Lucy était heureuse de voir sa cousine, contente qu’il lui fût permis de l’aimer sans réserve, reconnaissante envers son mari de la bonté affable qu’il déployait en ne mettant aucune barrière entre elle et l’amie qu’elle affectionnait.

Et Talbot, qui dira les pensées qui occupaient son esprit, lorsqu’il s’assit dans le coin d’un wagon de première classe, absorbé, selon toutes les apparences, dans la lecture du premier article du Times ?

Je me demande ce que Bulstrode comprit ce matin au merveilleux anglais des rédacteurs de ce journal !

Le grand papier sur lequel on imprime le Times est un écran des plus commodes. Dieu sait combien de souffrances ont été endurées derrière ce masque imprimé ! Une femme mariée, une heureuse mère, regarde assez négligemment les naissances, les mariages et les morts, et lit peut-être que l’homme qu’elle a aimé, qui est parti, qui lui a brisé le cœur, il y a de cela quinze ou vingt ans, est tombé mort, atteint au cœur, bien loin, sur un champ de bataille aux Indes. Elle tient le papier assez ferme devant sa figure, et son mari continue son déjeuner, remue son café, ou casse ses œufs, pendant qu’elle souffre, tandis que la table du déjeuner s’obscurcit et disparaît, que le jour passé depuis longtemps où le cruel vaisseau a quitté Southampton revient à sa mémoire, où des voix amies osent mettre en avant d’une manière monotone la folie des mariages imprévoyants. Ne vaudrait-il pas mieux, soit dit en passant, que les femmes prissent l’habitude de dire à leurs maris toutes les