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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/234

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AURORA FLOYD

bossu, n’ayant aucun désir de rencontrer Prodder une seconde fois ; cependant il resta dans la ville de Doncastre, où il logeait au bout d’une misérable allée, cachée dans une des rues de derrière : une sorte de bouge comme il y en a dans toutes les grandes villes, et seulement trouvable pour les habitants de la localité.

L’idiot était né, avait été élevé, et avait passé sa vie dans un rayon si étroit, que le déracinement d’un des chênes de Mellish Park aurait été un travail moins pénible et moins lent que de rompre les nœuds de l’habitude qui retenaient le grossier serviteur dans le voisinage de la maison dont il avait si longtemps fait partie. Mais maintenant que son occupation à Mellish Park était finie pour toujours et que son maître, l’entraîneur, était mort, il était seul dans le monde et il avait besoin de chercher une nouvelle position.

Mais il semblait y mettre peu d’empressement. Ce n’était pas un individu très-prévenant, il faut se le rappeler, et il n’était pas fait pour rendre beaucoup de services. Quoique ayant dépassé la quarantaine, il était généralement regardé comme un jeune homme qui s’entendait aux chevaux, et cette qualification est ordinairement suffisante pour procurer à n’importe qui une occupation dans les environs de Doncastre. L’idiot semblait cependant se tenir à l’écart des gens qui le connaissaient et qui auraient pu le recommander : et lorsqu’on lui demandait pourquoi il ne cherchait pas une position, il faisait des réponses évasives et disait quelquefois qu’il avait fait quelques épargnes à Mellish Park et qu’il n’aurait pas besoin de vivre aux dépens de la paroisse s’il restait une semaine ou deux sans ouvrage.

Mellish était si bien connu comme un maître généreux, Que personne ne fut surpris de la chose. Hargraves avait sans doute fait de jolies petites prises dans cette maison libérale. L’idiot allait donc sans qu’on lui fît de questions, rôdant par la ville d’une manière misérable, passant la moitié du jour et de la nuit dans la salle d’une auberge, buvant d’une manière triste et sauvage, qui lui était particulière, et ne se liant avec personne.