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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/55

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AURORA FLOYD

Le dîner se passa assez gaiement. Le Colonel faisait honneur aux hors-d’œuvre spécialement préparés pour lui, et chantait les louanges du chef de Mellish Park. Mme Lofthouse expliquait à Aurora le plan d’une nouvelle école que Mme Mellish allait faire construire pour la paroisse de son mari. Elle écoutait patiemment les détails assez fatigants, dont la cuisine, un vestiaire et une cheminée Tudor semblaient être les traits principaux. Elle avait déjà beaucoup entendu parler de ces sortes de choses, car il y avait à peine une église, un hospice, une maison-modèle, ou un asile pour les malheureux que la fille du banquier n’eût pas aidé à payer. Mais son cœur était assez vaste pour s’occuper de tout, et elle écoutait toujours patiemment ce qu’on lui disait, soit du vestiaire, de la cuisine ou de la cheminée Tudor. Si elle paraissait ce jour-là y prendre un peu moins d’intérêt qu’à l’ordinaire, Lofthouse ne put remarquer son inattention, car il lui semblait impossible que la conversation roulant sur un sujet comme celui-là ne fût pas intéressante. Rien n’est plus difficile que de faire comprendre aux gens que ce qu’ils affectionnent particulièrement vous est indifférent. Mellish ne pouvait croire que les entrées pour le Great Ebor n’eussent pas un grand intérêt pour Lofthouse, et le clergyman, de son côté, était parfaitement convaincu que les détails de son plan philanthropique pour la régénération de sa paroisse procuraient un plaisir énorme à son hôte. Mais le maître de Mellish Park était silencieux, il demeurait immobile, son verre à la main, regardant par-dessus la table et la tête de Lofthouse les cimes dorées des arbres qui se dressaient entre la pelouse et la loge de l’entraîneur. Aurora, de l’extrémité de la table où elle était, vit ce triste regard, et une ombre obscurcit son visage, au moment où une résolution profondément enracinée dans son cœur s’affermissait encore davantage. Au dessert, elle demeura si longtemps les yeux fixés sur un abricot placé dans son assiette, et son front se rembrunissait si visiblement à chaque minute, que la pauvre Mme Lofthouse désespérait positivement de pouvoir lui lancer le coup d’œil significatif qui devait éviter la corvée d’entendre son père faire