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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/66

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AURORA FLOYD

habitué à ces sortes de choses. Mais si, comme je vous le faisais observer tout à l’heure, nous parlions d’affaires, nous n’y arrivons guère vite.

En ce moment, Prodder, qui s’était approché dans son désir extrême d’étrangler l’interlocuteur de sa nièce, heurta son chapeau aux branches de l’arbre sous lequel il était.

Il n’y avait pas à se méprendre cette fois sur la cause du bruit. L’entraîneur tressaillit, et s’élança vers la cachette du Capitaine.

— On nous écoute, dit-il ; cette fois, j’en suis certain… c’est ce chien d’Hargraves, sans doute. C’est un traître, j’en suis sûr.

Conyers s’adossa à l’arbre derrière lequel se tenait le marin, et agita sa canne dans l’herbe sans pouvoir réussir à rencontrer les jambes de l’écouteur.

— Si cet imbécile s’avise de m’espionner, — s’écria l’entraîneur hors de lui, il fera bien de ne pas tomber sous ma griffe, ou je l’en ferai souvenir.

— Ne vous ai-je pas dit que mon chien m’avait suivie ? — dit Aurora d’un ton dédaigneux.

Un léger bruit se fit entendre dans l’herbe de l’autre côté de l’allée et à quelque distance de l’endroit où se cachait le marin.

Ça, c’est votre chien, si vous voulez, — dit l’entraîneur ; mais par ici c’était un homme. Allons un peu plus loin, et finissons cette affaire ; il est plus de dix heures.

Conyers avait raison, l’horloge de l’église avait sonné dix heures quelques minutes auparavant ; mais Aurora n’y avait pas pris garde. Le bruit s’était perdu au milieu des voix furieuses qui bourdonnaient dans sa poitrine. Elle plongeait en frémissant ses yeux dans l’obscurité que la lune jaune et pâle ne parvenait pas à rompre.

L’entraîneur s’éloignait en boitant ; Aurora marchait aussi, se tenant toujours aussi loin de lui que le permettait la largeur du chemin. Ils étaient hors de portée de l’ouïe et même de la vue quand le Capitaine fut assez remis de sa stupéfaction pour réfléchir avec un peu de calme à tout ce qui venait de se passer.