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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/92

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AURORA FLOYD

Ce n’était pas l’œuvre d’un braconnier. Non. C’était bon pour le Colonel Maddison de l’expliquer de cette manière, dans son ignorance des faits précédents ; mais Mellish savait qu’il n’était pas dans le vrai. Conyers n’était au château que depuis une semaine. Il n’avait eu ni le temps ni l’occasion de se rendre gênant, et puis, ce n’était pas un homme de nature à se rendre gênant. C’était un misérable indolent qui n’aimait que lui-même, et qui eût laissé prendre les jeunes perdrix sous ses propres yeux. Qui donc alors avait commis le crime ?

Une seule personne avait des raisons pour vouloir se débarrasser de cet homme. Une personne qui, poussée à bout par quelque grand désespoir, prise peut-être dans quelque filet infernal, tressé par un misérable, sans espoir de répit, sans aucun moyen d’en sortir, dans un moment de folie, avait pu… Non ! En face de toutes les preuves que la terre pût offrir, contre toute raison, contre tout jugement, contre tout souvenir, il dirait comme en ce moment : non ! Elle est innocente ! Elle est innocente ! Elle avait soutenu le regard de son mari : le pur éclat de ses beaux yeux avait dardé sur lui un torrent de rayons qui avait pénétré jusqu’à son cœur, et il la croyait.

— Je la croirai jusqu’au bout, — pensait-il ; — quand toutes les créatures de la terre réuniraient leurs voix dans une clameur accusatrice, je la défendrais jusqu’à la fin et je les braverais.

Aurora et Mme Lofthouse s’étaient endormies sur deux canapés placés l’un en face de l’autre ; Mme Powell marchait lentement de long en large, prêtant l’oreille au moindre bruit ; elle attendait le moment décisif où le malheur fondrait sur la maison de ses maîtres.

Mme Mellish se leva brusquement au bruit des pas de son mari qui entrait au salon.

— Oh ! John, — s’écria-t-elle en courant à lui, et posant ses mains sur ses larges épaules, — Dieu merci, vous voilà de retour ! Maintenant dites-moi tout : dites-moi tout, John. Je suis prête à tout entendre, tout. Ce n’est pas là un accident ordinaire. L’homme qui a été blessé…