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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/94

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AURORA FLOYD

oubliait d’envoyer les femmes de chambre et les femmes de service à leurs dortoirs respectifs, situés sous les toits.

Tout était tranquille dans le salon, où les invités avaient laissé leur hôte et leur hôtesse caresser à leur aise ces spectres hideux qu’on cache en présence des étrangers. John allait et venait d’un bout à l’autre du salon. Aurora regardait tomber la cire fondue des bougies placées dans des candélabres de forme ancienne. Mme Powell, sa broderie roulée avec un soin particulier, rangeait ses aiguilles et son fil aussi soigneusement que si jamais il n’avait été commis de meurtre au monde, et comme s’il n’y avait pas dans la vie d’occupation plus sérieuse que de broder des dessins très-compliqués sur de la mousseline française.

Elle suspendait de temps à autre son occupation pour proférer quelque lieu commun poli. Elle regrettait qu’une aussi désagréable catastrophe fût survenue. Elle insinua même que Conyers n’avait fait preuve ni de bon goût ni de respect pour ses maîtres par son genre de mort ; mais le point auquel elle revenait le plus fréquemment était, bien entendu, le fait de la présence d’Aurora dans le bois au moment du meurtre.

— Je regrette bien que vous soyez sortie à ce moment-là, ma chère madame Mellish, — dit-elle, — et que, comme je l’imagine d’après la direction que vous avez prise en quittant la maison, vous vous soyez trouvée près de l’endroit où le malheureux jeune homme a été tué. Ce sera si désagréable pour vous d’avoir à comparaître devant le coroner.

— Comparaître devant le coroner ! — s’écria Mellish en se levant brusquement et montrant un visage courroucé à la placide veuve. — Qui donc dit que ma femme aura à comparaître devant le coroner ?

— J’imaginais seulement qu’il était probable que…

— Allons, vous auriez mieux fait de ne pas vous imaginer cela, madame, — reprit Mellish, sans trop de politesse. — Ma femme ne comparaîtra pas. Qui lui demanderait de le faire ? qui voudrait le lui demander ? Qu’a-t-elle à faire avec ce qui s’est passé ce soir ? Qu’en sait-elle plus que vous ou moi ou toute autre personne dans cette maison ?