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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/98

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AURORA FLOYD

château. Ce soir-là, il regardait tristement cette chambre, se demandant si Aurora et lui seraient heureux encore, se demandant si ce nuage sombre, mystérieux et menaçant disparaîtrait de l’horizon de sa vie, et laisserait l’avenir clair et brillant.

— Je n’ai pas été suffisamment bon, — pensait-il, — je me suis laissé enivrer par mon bonheur, et je n’y ai pas répondu. Qui suis-je pour avoir conquis la femme que j’aime, tandis que d’autres font le sacrifice des plus chers désirs de leur cœur. Quel misérable indolent et bon à rien j’ai été ! Combien je suis aveugle, combien je suis ingrat, combien je suis indigne d’elle !

Mellish cacha sa tête dans ses grosses mains ; il se repentait de la vie d’insouciance heureuse qu’il avait menée pendant trente et une années. Il avait été réveillé en sursaut par la foudre, qui avait fait écrouler l’édifice enchanté de son bonheur et l’avait rasé à fleur de terre ; et dans sa simplicité naïve, il cherchait dans sa propre vie la cause de la ruine qui l’avait enveloppé. Oui, il fallait qu’il en fût ainsi, il n’avait pas mérité son bonheur ; il n’avait pas conquis sa bonne fortune. Avez-vous jamais pensé à cela, ô simples gentilshommes campagnards, qui distribuez des couvertures et des vivres à vos voisins peu fortunés, pendant les hivers rigoureux ; vous qui êtes des maîtres si bons, des époux si fidèles, des pères si tendres, et qui passez vos existences faciles dans les lieux choisis de cette belle terre ? Avez-vous jamais pensé que, quand toutes vos bonnes actions auront été réunies dans la balance, leur poids sera bien léger, comparé aux jouissances que vous aurez goûtées ?… Ce sera un bien faible intérêt du gros capital que le maître vous a confié. Souvenez-vous de John Howard frappé de maladie et mourant ; de Mme Fry gémissant dans les prisons des criminelles ; de Florence Nightingale, dans la chambre froide et nue d’un hôpital, dans une atmosphère lourde et viciée, parmi les morts et les mourants. Voilà ceux qui rendent cent pour cent des biens qu’ils ont reçus. Voilà les saints dont les actions brillent au firmament, au milieu des étoiles, pour ne jamais s’effacer. Voilà les infa-