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HENRY DUNBAR

rie, l’amour simulé et le faux dévouement, mais elle ne peut payer un vrai battement de cœur, un véritable tressaillement d’affection. Toute la richesse de ce monde ne saurait acheter pour Henry Dunbar la paix ou l’oubli. Tant que je vivrai il faudra qu’il se souvienne. Si sa conscience coupable lui permet d’oublier, je serai là pour lui rappeler le passé, ce sera ma tâche. J’ai promis à mon père mort que je me souviendrais du nom de Dunbar, j’ai d’excellentes raisons pour ne pas l’oublier.

Margaret n’était pas tout à fait seule dans son malheur. Il y avait quelqu’un qui sympathisait avec elle, quelqu’un qui brûlait du désir pur et sincère de lui venir en aide. C’était Clément Austin, le caissier de Saint-Gundolph Lane, qui était amoureux fou de la jolie maîtresse de musique, mais qui se sentait à demi honteux de cette affection soudaine et déraisonnable.

— Je me suis toujours moqué de ce qu’on appelle l’amour à première vue, — pensait-il, — il est impossible que je me laisse ensorceler par une paire d’yeux noirs et par un nez grec. Peut-être, après tout, l’intérêt que je prends à cette jeune fille tient-il seulement à ce qu’elle est si belle et si abandonnée, et peut-être aussi à l’espèce de mystère qui semble planer sur sa vie.

Clément ne songea pas un moment que ce mystère eût rien de déshonorant pour Margaret. Le visage de la jeune fille respirait les saintes pensées et réfléchissait une douce lumière. Le rustre le plus grossier n’aurait pas admis la possibilité du vice et de la rouerie jointe à des dehors aussi harmonieux et aussi séduisants.

Depuis son retour de Winchester, depuis l’inutilité de la seconde tentative qu’elle avait faite pour voir Dunbar, elle avait repris le cours de sa vie calme, et